(…) beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme (…) Les Chants de Maldoror – Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse, dit) | 16 juin 2007


La tension était palpable (une expression toute faite encore une fois... Palper de la tension, la mettre dans la paume de sa main et la malaxer, se brûler la peau, car la tension est le feu, quelque chose d'invisible... Jouer de cette chaleur jusqu'à ce qu'elle ne devienne plus qu'une mouchure sombre)... Palpable et impeccable. Sublime. La déferlante de soldats sur-vitaminés contrastait considérablement avec la mollesse alcoolique des convives de la cérémonie... Pan... Un corps tomba pendant que Bertrand, emporté par la panique du groupe se ruait sur cet escalier en colimaçon engoncé dans un tunnel humide (trempé) sans lumière... Les balles fusaient. Et il ne se demanda pas la raison de la présence de cette échappatoire étrange... Comme si certains des invités, ou les salariés du restaurant avaient conçu, des mois durant, une trappe... S'échapper. Echapper. Courir. Il trébuchait. Se rattrapait    les mains    contre les parois granuleuses et trempées du tunnel. Les marches étroites de l'escalier. LE noir. Noir puissant, profond. Le noir total. Paniquant. Et l'ivresse. Bertrand était resté des mois chez lui à boire. Vautré sur son ordinateur à écrire des crottins grotesques à destination de lecteurs sans gueule. Putain. Les mains tremblantes, encore et encore. Il était ivre et se trouvait coincé dans ce noir brutal. L'obscurité absolue était une mélasse qui bastonnait le cerveau. Une peur bleue dans une noirceur/béton.
 
Même si les bruits de guerre de l'extérieur ne lui parvenait plus aux tympans, Bertrand s'était littéralement gaufré dans la terreur d'être buté par ces révoltés... D'où venaient-ils ? Comment étaient-ils parvenus à s'organiser et à envahir le territoire à une telle vitesse ? On parlait du ras-le-bol du lumpenprolétariat (partie la plus misérable du prolétariat que l'aliénation totale écarte de la prise de conscience révolutionnaire... Marx s'était donc planté, encore une fois). Ce n'était pas une armée débraillée, mais ça n'était pas non plus une armée bien rangée de nation puissante... C'était un assemblage de corps combattants très mobiles, sauvages, mais obéissant à un plan de bataille bien précis... Bertrand pensait à ça. Pendant qu'il tentait de reprendre son souffle (en vain), il pensait à ça. Il pensait à son oncle fraîchement mis en accusation pour des faits de corruption, d'abus de pouvoir, de détournement d'argent public. Il pensait au coût de cette cérémonie en l'honneur des cadavres de ses minuscules enfants...
 
Il pensait. Et se remettait à courir mécaniquement, comme si la peur/moteur ne suffisait plus à accaparer son cerveau d'occidental mollasson et « connectible »... Poussière d'homme. LE noir toujours crispant... Les yeux étouffaient de ne rien voir. Son cerveau jonglait avec les sentiments mêlés de panique, de désir de mort, de survivre, de tout laisser tomber. Tomber. « Allez, c'est un cauchemar, ça n'aura pas lieu. Allez ! C'est des conneries ! Allez ça n'existe pas . » Tel un enfant évident qui prie Dieu d'effacer la connerie qu'il vient de faire...
 
Tout en continuant son ascension folle vers un sommet introuvable, il regrettait déjà ces cons qui s'achetaient des 4x4 pour se branler dans les bouchons des villes, ces pauvres crétins salariés qui se préoccupaient plus de leur pouvoir d'achat, de leurs bricolages du week-end  et de trouver une place en maison de retraite pour leurs vieux parents, plutôt que d'être attentif à la violence/misère édifiée en « que peut-on y faire » par les élites et leurs sbires/citoyens... Des pensées complexes et la chaleur douce de son urine qui se répandaient dans lui et sur lui... Il regrettait d'avoir été ce « misérabiliste », cet « homme du passé », ce « réactionnaire de gauche » qui gonflait tous ses « amis », « collègues », ... Il se demandait qui, d'eux ou de lui, recevrait une rafale de balles dans le morcif... A quoi ce monde de classe moyenne et de « riches décomplexés » allait-il ressembler après le passage furibond de cette armée de laissés pour compte ?
 
En jaillissant à l'air libre, au sommet de cette colline rocailleuse, il prit un longue inspiration.. ; Comme s'il avait cessé de respirer durant l'ascension... Imprégné par l'odeur de pisse, de merde qui avait envahi son froc, Bertrand se sentit soulagé de voir ces connards qui le gonflaient, une heure plus tôt, pendant la cérémonie. Mort. Re-mort. Remords. Ils avaient l'air un peu gentils. Les tontons (le repris de justice était là aussi), les tatas et leurs maquillage « dégouliné », les petits cousins et cousines chialant comme des merdes... Il manquait bien Lucien, Nicole et Baptiste, mais le plus gros du bataillon des trouillards était arrivé jusque-là. Là, le spectacle terrifiant. La course ne pouvait s'achever là. Les soldats ne tarderaient pas à venir par ici.  Et en contre-bas, dans une atmosphère grise créée par la présence de nimbo-stratus, des centaines de panaches de fumée jaillissaient des maisons, édifices publics et autres églises... Les points noirs gesticulant en tous sens n'étaient autres que des soldats en course... Telle une fête de la Saint-Jean, des milliers de coups secs de pétards montaient jusqu'aux oreilles des convives harassés, fascinés par le spectacle. Dépités. Des Occidentaux dont les zones « action », « réaction », « survie », « volonté de s'en sortir » du cerveau, avaient été anémiées par leur sur-confort, leur bourre-mou médiatique et l'incapacité à considérer la vie autrement qu'en une gestion méticuleuse de sa capacité de consommation et de sa force d'achat...
 
Bertrand se décrotta le nez. Déposa le loup sur sa langue et le mâchonna tranquillement en regardant cette guerre en vrai. On pouvait refaire ce genre de choses sales en temps de guerre... Sa tante Linette le toisa. Il dressa son majeur pour lui signifier qu'il n'en avait plus rien à foutre... Puis le glissa bien au fond de sa narine gauche... Une voix nasillarde jaillit de nulle part... C'était lui qui, sans s'en apercevoir, s'était mis à chanter connement : « Je-je suis liber-tine, je suis une ca-tin... Je-je suis si fragi-le, qu'on me tient la main... »
 
Explosion à l'embouchure du tunnel. Les soldats n'étaient plus très loin... Il fallait reprendre la course folle vers nulle part.
 
A suivre...
  
Andy Verol

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