Evite de mourir, c'est d'une banalité - Nouvelle
©Photo de Yentel Sanstitre
Plus une bombe dite artisanale installée dans la télé,
pendant qu'il s'empiffre de chips, de chipster, de Curly, boum, l'écran de pub
lui vole à la gueule et l'écharpe comme en 14, les éclats d'eau pute, de Tahiti
douche, de produit vaisselle ultra-doux pour les mains. Autour, le quartier
s'esclaffe de mille moteurs: arrêt feu rouge, redémarrer au vert, arrêt,
redémarrer, pétarader, sauf quelques électriques et biclous tout au
milieu. La gardienne surgit, encore hirsute de sa victoire au Sudoku, les mains
tremblantes, tente de mettre le double des clefs dans la serrure, y parvient,
ouvre, le chien au pelage maculé de sang lui remue la queue de bienvenue...
Elle avance dans le couloir comme dans une jungle au Vietnam, écarte les
étagères effondrées en travers et se plonge dans le bloodyland à l'aspect
lunaire miniature, entre quatre murs et deux fenêtres explosées. Il est comme
une pièce de beauf tirée à quatre épingles...
Puis elle se presse pour ramasser tout ce qu'il est possible
pour s'enrichir. Le bonhomme est connu pour sa nature pingre et ses poches qui
font des bruits de Louis d'or s'entrechoquant. Killé/cassé, elle essaie de ne
pas regarder le cadavre, se rue dans les tiroirs, les placards, les penderies
et même -pour tout dire- sous le lit. Elle repère des miettes, de ces bestioles
aux tas de pattes dotées de mandibules géantes en guise de bouche, de
canettes en verre et en alu, quelques armes, des couteaux surtout et ce sac de
congélation fermé par un nœud... contenant ce qui ressemble à une main crispée
trempant dans son jus. Elle n'a pas que ça à faire, le chien -qui est une sorte
de berger allemand nain- lui lèche les mi-bas et grince des dents d'excitation.
Tandis qu'elle est à plat ventre, le crâne sous le sommier, elle sent la bête
frotter son plot rouge sur sa cuisse gauche. Elle s'extirpe, une poignée de
billets de 10 euros jaillissant de ses gros doigts comme une sauce de papier.
ça pue, c'est sombre, c'est une chambre moquette dans laquelle des armées
arachnides napoléoniennes se défendent des assauts des hordes d'amérindiens aux
dents noircies par les feuilles de coca. "Oh on se calme". Elle se
ressaisit. Se gratte ce qu'elle aimerait être des couilles. Se redresse et s'en
va en vociférant des insultes contre l'homme déchiqueté.
En sortant, elle hume la foule et se rappelle enfin qu'elle
s'appelle Jolène -"les mains dans la crème" lui disait-on du fait de
sa gourmandise et de son doigt boudin qui fistait les gâteaux en douce- et que
sa maison était la même maison que celle de l'assassiné. On la regarde en coin,
elle fend, fend, percute, mais fend cette foule tel un morceau de macreuse. Il
y a Patrice, planté devant son salon de coiffure toujours sans client, à la
vitrine infestée de décorations de Noël du XXème siècle, qui l'interpelle,
comme ça, le cigare pendouille sur la commissure des deux pulpeuses: "Tu
vas où la Jolène? T'as bouffé l'cœur d'un mouton vivant avec tout c'sang?"
Elle ne lui répond pas. Exténuée, elle éternue dans ses doigts avant de
bifurquer dans l'Impasse des Agrippés. Elle disparaît de la vue des passants de
la rue principale. Patrice est retourné à sa chaise en rotin et à ses rêves de
French Dream à la Jean-Louis David. Deux types, des armoires à glace, en
jean-tongue-torse-poils accélèrent le pas et s'engagent à leur tour dans
l'impasse... Trente secondes plus tard, on perçoit une sorte de hurlement de
fouine sodomisée, un coup de feu, puis plus rien. La rue principale s'en fout
et continue à grouiller et à décliner le long des boutiques alignées.
Premières lignes de "Evite de mourir, c'est d'une banalité"
Andy Vérol
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