Lettres à Nicolas Sarkozy, mon père | 08 septembre 2011

Cher Président de la République, cher père,

Je suis persuadé que vous êtes étonné de recevoir ce courrier, mais il semblait inévitable pour moi de me manifester auprès de vous. Je m’appelle Malik Dilemme. Vous connaissez sans doute déjà mon existence, du moins saviez-vous, jusqu’à ce jour, que vous aviez un enfant illégitime. A l’orée de mes 40 ans, je ne pouvais plus vivre avec ce secret pesant si terriblement sur mon esprit que j’ai passé près de dix années de ma vie en hôpital psychiatrique. Aujourd’hui, je suis guéri, au RSA et sans emploi. Mes journées sont faites d’heures passées devant la télé, de solitude et de rêves alcooliques. 

Au début de cette année, ma mère, Juliette a été emportée par un terrible mal. Elle était mon soutien, ma charpente. Cette femme que vous n’avez connue qu’à ses dix-huit ans, était brillante, mais la vie ne lui a jamais fait de cadeau. Vous alliez décrocher votre bac quand vous l’avez rencontrée. Pour vous, elle ne fut qu’une amourette, une passe fougueuse dans votre existence dorée. Ma mère est tombée enceinte, vous a sollicité, mais vous l’avez ignorée et marquée au fer rouge du mépris et de l’oubli.

Entendons-nous bien. Je ne vous écris pas pour régler des comptes, et encore moins pour réclamer une quelconque légitimité tardive. Je ne vous écris pas non plus pour vous communiquer la moindre haine, mais tout de même, sachez-le, je ne vous aime pas.

L’idée de vous écrire m’est venue au fil de ces derniers mois. Le fait que vous soyez de nouveau papa, que votre vie soit si heureuse et glorieuse, m’a fait l’effet d’une baffe. Comme je le disais plus haut, mes loisirs se limitent à l’absorption d’alcool et à la boulimie du téléphage fauché. Et c’est en vous regardant, au journal de 20 heures sur TF1, en mars dernier je crois, que j’ai compris que tout ce que vous disiez, à chaque fois que vous parlez de la France, en réalité, vous vous adressez à moi, votre fils illégitime. Tout ce que vous dites sur la France m’est destiné. Je le sais, je ne suis pas fou, c’est vous qui êtes fou de jouer ainsi avec tout un peuple et avec moi.

Vous me croirez ou pas, cher père, mais pour vous parler, j’ai éteint ma télé, pour ne plus entendre votre voix ou celle des autres, j’entends par là, les foutre-cons, les journalistes, les analystes, les statisticiens et les pygmées ventrus des médias… Parce que je les reconnais, les vois et les écoute, comme tout à chacun, et j’hume dans leur logorrhée permanente, une façon faux-cul de vous envier. Ils aimeraient pour la plupart, posséder votre pouvoir. Ils s’en défendent, arguant qu’ils préfèrent la vie simple, les choses simples, les instants simples.

Je n’y crois pas, cher père, je crois qu’ils mentent plus que vous, qu’ils jouent de ceux qui les regardent et les écoutent. Vous, vous mettez la lumière sur une vérité : le peuple souhaite des gens qui parlent vrai, direct, rentre-dedans, pas des trimards de la bienséance. Car je l’affirme, ils n’informent pas, ne communiquent pas, ils crachent, paresseux intellectuels, assénant sans fin que vous êtes l’omniprésident, comme si vous étiez omniscient. Ils vous mettent en scène plus que vous ne jouez un rôle. Ils pervertissent tout. Que vous restiez ou non président, vous resterez vous-même, et vous brillerez toujours si fort à mes yeux que j’en deviendrai aveugle.

Pour revenir au début de cette correspondance à sens unique – excusez mes formules – j’ai compris très rapidement que vous parliez de moi, mon être, cette progéniture cachée que vous avez effacée de votre mémoire, mais que votre inconscient ramène à vous, dans vos gestes, vos tics, vos manières brusques et cette lueur de méchanceté qui « geyser » lorsque vous souriez. Car j’ai eu le temps durant tous ces mois, de vous observer, vous analyser. J’ai quelque chose de vous, ne l’oubliez pas, quelque chose qui s’appelle les gènes, le sang, peut-être même le sperme. Alors je suis heureux d’avoir des demi-frères, d’avoir une famille triomphale qui prospère sur ce pays comme des fleurs au printemps. Vous êtes beau lorsque vous êtes corrosif. Vous êtes envoûtant quand vous êtes turbulent…

Mais je vous cache des choses. Je préfère les dires au fur et à mesure pour ne pas trop vous déstabiliser. Peut-être enverrez-vous chez moi quelques hommes en uniformes afin de me menotter, me bâillonner et m’enjôler. Je n’en ai rien à foutre, cher père, je suis déjà mort. Mort avec la mère, mort depuis son ventre, mort depuis que vous m’avez pulvérisé de votre vie comme certains hommes balancent de l’acide à la gueule de leurs femmes infidèles. Je n’ai pas peur, je vous dirai tout ce que je souhaite avant d’être emporté dans les bras de la faucheuse. Un enfant, même illégitime, est en droit de faire savoir qui il est à son père.

Je n’ai pas beaucoup travaillé dans ma vie, à l’inverse de vous. A l’école, je suivais, je rampais derrière le programme scolaire. Et si j’ai décroché mon bac, c’était pour faire comme vous… Si j’ai commencé à travailler, c’était pour vous imiter. L’essentiel de ma vie a consisté à vivre aux crochets de l’Etat. Sans lui, je serais déjà mort ou rendu à la mendicité. Peut-être même aurais-je donné mon corps à quelques vieux dégueulasses pour une poignée de billets. Je n’ai rien fait de tout ça. J’ai déprimé, tenté de me tuer, je me suis drogué, et je suis même allé bien au-delà de ça.

En m’abandonnant, mon père, vous m’avez assassiné. Vous pouvez tenter de le nier. En l’occurrence, en agissant ainsi, vous faites comme la plupart des criminels, vous niez ou vous minimisez. Et je vous regarde vivre et vous affirmer de la manière la plus arrogante qui soit, à l’instar de ceux qui pensent que certains sont choisis et savent se mobiliser pour réussir, que d’autres se laissent aller à la dépression, à l’assistanat et à la violence. Seulement, cher père, vous ne savez rien de tout ça. Vous n’êtes pas né avec une seule jambe, vous n’êtes pas né aveugle, vous n’êtes pas né trisomique. Certes, je n’ai pas cotisé pour recevoir mon RSA, je n’ai jamais travaillé pour payer les retraites de nos aînés, je n’ai jamais, d’une manière ou d’une autre, contribué à la prospérité de la nation. Je n’ai même pas servi ce pays sous un uniforme, et je n’ai jamais été bénévole pour aucune cause. Je n’ai rien fait pour ce pays, la France, et pourtant ce pays, c’est moi, juste moi, rien que moi. Vos discours me flattent sans cesse et ils m’exaltent parfois. Et pourtant je boite, titube, grogne dans mon vomis, certains soirs. Dès mes plus jeunes années, j’ai cessé de rire, et le mot « bonheur » pour moi, est une soupe trop salée que l’on sert à ceux qui ont perdu le goût.

Dans votre agitation perpétuelle et vos certitudes, vous en avez oublié l’Homme qui tombe, celui qui bave sur un lit d’hôpital et qui ne peut plus porter la fourchette à sa bouche. Vous en oubliez – peut-être n’y avez-vous jamais pensé d’ailleurs – que le naufrage de l’être ne se règle pas à coups de gourdins, d’invectives ou de pitié mielleuse… Car vous pratiquez tout cela, cher père, vous en êtes d’ailleurs devenu le champion, le number one, le boss du cassage de tibia. Vous me faites souvent penser à mes jeunes années à l’école, époque anti-bénie où je me faisais savater au fond de la cour par des plus lâches que moi, mais qui maniaient mieux l’insolence, la violence et l’agressivité que moi. Je suis Malik, votre fils, et lorsque j’étais élevé seul par ma mère, je n’avais que l’Etat, ses instit’ et ses flics pour me défendre. Au lieu de ça, on me tournait le dos et on laissait faire mes tyrans chérubins. La justice… Vous en parlez tellement de la justice. Vous m’en parlez à moi, me rappelez qu’elle ne m’est pas réservée ni dédiée, qu’elle est là comme un faire-valoir dans les discours des puissants… Alors, cher père, je n’excuse ni mes actes, ni mes pensées, mais j’ai rêvé de mort, d’abord… Juliette, ma mère, votre maîtresse à court terme, essayait tant bien que mal de m’élever. Elle travaillait dans une usine textile – l’une de celles dont votre frère était le patron – et elle faisait bien, elle se donnait, offrait toute son énergie pour les besoins de son employeur. Elle ne se posait pas de questions, elle pensait que c’était ce qu’il fallait faire… jusqu’au jour où, dans le trou où nous vivions, elle resta sans emploi. Virée, non parce que l’entreprise allait mal, mais parce que son patron voulait garder son train de vie. Un matin, l’un de ses adjoints la convoqua dans son bureau, lui tendit une lettre et la pria de sortir. « Merci et au revoir ». La pauvre femme, son corps encore fin et ferme se courba, s’avachit, devrais-je dire, pour devenir le presque celui d’une vieille. Ces années-là, les biens portants appelaient des personnes comme ma mère, des assistés. Ce mot doit sans doute vous dire quelque chose j’imagine ? Je ne vous en veux pas de taper sur les corps par terre, je ne vous en veux pas non plus d’exhiber votre toute-puissance, mais cher père, je ne vous aime pas, et je ne vous aimerai jamais… Et je le dis, car je suis Malik, et non un échantillon représentatif du peuple français… Je suis un échantillon de votre viande, mais de la façon la plus faisandée qui soit. Soit, passons, rentrez-moi dedans, ou pire, prenez cet air faussement malheureux accompagné des pires mots : « Pauvre garçon ». Ajoutez « mon » devant « pauvre garçon », et nous serons quittes… Je n’aurai peut-être plus cette sensation de n’être qu’un demi-être, de n’être qu’une empreinte de pigeon dans une bouse de vache…

Je ne vous hais pas, je ne vous aime pas. Excusez mon emportement… J’ai décidé de vous écrire sans allumer la télé, sans boire d’alcool, pour vous communiquer mon désarroi. Sachez que je fais 1m86, que j’ai des yeux bleus comme ma mère, que je suis brun bouclé et que mon corps est maigre. Si vous me croisiez dans la rue, vous ne me verriez pas, à peine plus visible qu’une mouche.

Dehors les gens gueulent. Je vis dans un sale quartier où la pauvreté rend agressif. Des couples hurlent, se battent, frappent leurs gosses. D’autres se terrent, comme moi, vautrés en silence dans leur piaule, des nuits pimentées par quelques films de cul sur Internet, des émissions de télé insipides… A l’heure où je vous écris, un couple se bastonne. Je n’appellerai pas la police qui ne viendra pas, et je n’interviendrai pas. Ici, on reste chez soi et on n’attend la fin de l’orage. L’enfant braille mais ils ne l’entendent pas. Le ciel est orange. Voilà mon quotidien, la torpeur infinie dans laquelle je suis installée.

Vous me direz, cher père, « ressaisis-toi et prend ta vie en main ». Mais venez simplement dans mon corps, juste cinq minutes, et vous sentirez la fatigue, la tristesse, l’empêchement… Je clos cette lettre ici, l’homme vient de poignarder sa femme, et ça me sape le courage.

A très bientôt cher père.

Malik.

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