La compassion se résume à une pièce jaune dans une boîte colorée






4 mars 2011 : On dit qu’il faut se laver les mains après avoir fait pipi, la prière de la vessie, l’argenté facile de l’urée corrosive. Aujourd’hui, on accepte qu’on change de sexe, de sexualité, de face, de couleur de cheveux, de peau, pour pallier le mal être, le mal soi, mais si l’on ne veut pas collaborer à l’empire, qu’on ne veut ni du salariat ni de la pathétique liberté d’entreprendre, on n’a rien, on n’a pas le lead, on est la lie gluante, mis au ban, tracé dans les DATA centers du Nouvel Ordre Moral. Je ne vais pas mentir, je vais continuer à croquer du naïf, du distrait, de l’influençable, je vendrai de plus en plus jusqu’à ce que tous les foyers d’abrutis soient remplis des pires navets littéraires produits par l’industrie du livre. Alors oui, on peut baiser un homme, une femme, un singe, une marmite, pas un enfant, pas une pute, pas un octogénaire, pas un sans-papier, … On doit choisir ce que la liste des choix autorisés nous octroie. On peut choisir d’être propriétaire, pas nomade, on peut choisir d’être artiste, pas chasseur de primes, on peut choisir d’être papa/maman mais on n’a pas le droit de répudier ses parents, en choisir d’autres, les remplacer par des plus riches, des plus vivants, des moins malades, … On pourra pourtant choisir la couleur des yeux, la taille de la bite, la profondeur de la chatte de son gosse, mais on n’a pas le droit de choisir de ne pas aimer les gosses, d’en dire du mal. On a le choix parmi des propositions faites par la matrice globale… Je vais mal. Les 8/6 m’explosent l’estomac. Aurélie n’était pas chez elle. J’ai plus de force, j’ai plus d’envie. Ça se termine toujours dans les couvertures crasseuses de la solitude…


5 mars 2011: nous n'entrons pas dans la première maison venue, un lieu d'accueil pour les pauvres géré par une aumônerie catholique. On descend encore, les torrents de pluie ont transformé les routes en transbordement de boue.


5 mars 2011 (on a bien couru mais j'en ai plein les gencives de cette bave de chasseur): nous sommes aux heures de pointe de notre relation amoureuse, cette sorte d'espace temps bouchonné par l'insatiabilité sexuelle et un optimisme faussant la réalité. Je savoure. Je l'ai extirpée de sa prise d'otage avec toute la brutalité nécessaire. En fait, avant hier, enfin, je parviens à lui parler. Elle s'excuse pour ses propos avant de me dire: viens me libérer. Elle m'explique qu'elle est séquestrée par son ex-mari dans sa baraque isolée en Ardèche. Jouant de la mégalomanie du type qu'elle accepte de sucer en échange de moments de "liberté" en dehors de la chambre, c'est à dire dans le salon. Elle m'a appelé tandis qu'il demoulait un cake. "Viens", adresse de la baraque, "attention aux chiens ", "te fais pas repérer par la communauté". Je suis assez peu tenace devant les grandes difficultés. Le capitalisme m'offre la possibilité de faire de l'évitement de problème. La compassion se résume à une pièce jaune dans une boîte colorée en carton chez le commerçant local, le courage est rabattu au rang de qualité des personnages de Walt Disney ou de Marvel. Quant à la loyauté, c'est ce sentiment inondée par les crachats des citoyens caddies. J'ai été sauvé par la bête, mon échine douloureuse, mes muscles éclatant comme des bulles à travers les duvets de gras. J'avais l'acuité visuelle en mode supersonique, mais surtout, une fois encore, mon odorat décupla. Je me foutais de tout. 780 bornes minimum dont 120 en pleines montagnes. La twingo en mode éreintée. Une richissime tempête s'est mise en tête de me pourrir le trajet. Essuie-glace défectueux, branches d'arbres arrachées trop affectueuses avec ma carrosserie.


26 mars 2011: la Terre est un showroom pour les E.T., un bac à sable pour milliardaires. Je suis un satellite artificiel qui n'a jamais pu décoller, une comète chauve paumée dans l'immense tas de gravats constitué par les autres comètes chauves. Je suis un électron englouti par le coeur de l'atome, une demi-lune criblée de cratères, une gueule cassée par les obus du temps. Tiens ? Je sais toujours écrire. Je ne sais faire que ça. Ce matin, une certaine Aurélie, très jolie, est venue me donner des calepins griffonnés paraît-il, par moi-même. Elle m'a embrassé sur le front. Elle m'a demandé si c'était pas trop douloureux... J'ai dit: "Ben si". Je lui ai demandée la date du jour. Je l'ai écrite sur le calepin à moitié rempli: 26 mars 2011.


27 mars 2011: ça passait les premiers instants mais maintenant sa présence est indigeste. Elle me regarde par dessus son écran de tablette avec le regard jus d'pomme de la lionne jeune. Je ne sais plus trop qui je suis. Un certain Martin est passé me voir avec un panier cadeau. Dedans du déodorant, de la crème pour les mains, des livres de Labro, des magazines d'actualité politique. Un drame. Ce type m'a expliqué que j'étais son meilleur stagiaire et qu'il comptait sur moi. J'ai bien relu mes textes d'avant et apparemment le type, je lui accordais du crédit. À part ça, j'ai la sensation d'être un balais posé contre un mur en briques à Los Angeles. Une silhouette passe et repasse devant la fenêtre.

Léonel Houssam

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