Quand je buvais, j'étais imbuvable. Maintenant que je vis, je suis invivable





28 mars 2011: pour de l'argent, j'étais capable de mettre ma face dans une fosse à purin, je crois. J'ai dit à Aurélie que je voulais des vidéos porno pour agrémenter mon séjour hospitalier. Elle fait la gueule mais je m'en fous, je sais pas ce qu'elle glande dans ma vie. La mémoire me revient peu à peu. Je me suis souvenu du père donnant des gros coups de pieds dans la carrosserie de la R5 kaki. Je me suis aussi rappelé qu'il a fait gris tout au long de nos vies, que les éclaircies ne sont jamais apparues sans appareils génitaux. J'ai souvenir d'avoir campé sur un glacier fondant à vitesse grand V. J'ai aussi revu cet avant bras aussi gros qu'une cuisse suite à une overdose de BCG. J'ai distingué clairement une DS plantée dans un arbre, un type comme endormi sur le volant. J'ai vu la maison en contrebas de la route d'entrée dans le village de Flize, l'antichambre de tous les enfers réunis. Ça revient par salves, c'est pas joli.

29 mars 2011: Quand je buvais, j'étais imbuvable. Maintenant que je vis, je suis invivable.

29 mars 2011 (suite, après un rot mémorable): c'est en mangeant ma purée dans sa barquette carton micro-ondes servie par les grands chefs cuistots de l'hosto que je me suis rappelé les transports en commun aux heures de pointe, attouchements épaules contre épaules, viol de la sphère intime, rapports non consentants, haleine contre haleine, bosses futals, cuisses jambes en jupe droite, escarpins pieds d'cochon, bras poilus de singes, conversations insipides. Je me suis aussi rappelé les champs chlorophylle serrés douillets dans les nappes de brouillard automnale... Pour gérer l'amnésie canardée par des bribes de souvenirs achronologiques, en vrac, en bordel, je me branle sur des pornos défilant sur la tablette que cette Aurélie m'a filé. Elle prétend être ma meuf mais je suis persuadé qu'elle est une cousine incestueuse. Bizarre, les gens semblent avoir des parents. Moi je crois que j'en n'ai pas. J'ai dit à Aurélie que j'étais, en toute logique, l'incarnation de Jésus. Elle s'est remise à chialer. Je me suis masturbé sur un film d'étudiants russes hideux et nécessiteux. Tchin santé ! Mon système olfactive fonctionne à nouveau. Ça schlingue.

30 mars 2011: cette fille est un dé à coudre, fabriquée pour contrer les coups d'aiguilles... Elle refuse mes avances, rejette mes mains baladeuses, elle s'appelle Lucie, elle prétend être ma cousine, mais je sais qu'elle est ma meuf.


18 avril 2011: une thérapie de groupe tout seul. Aucun des autres "patients". Juste moi, une dizaine de chaises en cercle et une sensation d'être à la fête des anciens, danse des hommes en collant et maquillage de pute sur Macumba. Vents invisibles démontent les fils tendus de l'orgueil.


19 avril 2011: c'est mieux. Dans la salle D115 du bloc A, cette fois, nous sommes trois. Julien blanc, un quadragénaire chauve, petit, style keke des plages avec un nez piqué de poivrot. Marie gosse, elle aussi une quadragénaire, ex belle, ex Winneuse, blonde broussailleuse, des yeux comme des cocardes noires. C'est Martial qui préside, médecin blousé de blanc, Jean, baskets Redskins, 35 ans. Il est le seul à parler. Moi j'écris sur mon calepin et je lui dis que c'est ça ma thérapie. Les autres sont figés, incapables de dire quoique ce soit. Je suis celui qui a la mémoire la mieux rétablie.


20 avril 2011: le métronome est arrêté. Je m'échappe un peu plus loin chaque jour, petit oisillon s'aventurant dans le monde hostile des fleurs de carburants, des roulettes de chariots de victuailles, des instants honteux après avoir renversé son assiette dans le réfectoire, provocant l'hilarité des compagnons d'arme. J'ai retrouvé l'instinct, la force. J'ai recommencé à pisser les frontières de mon territoire. Aurélie ne vient plus. Elle a compris.


21 avril 2011: il faut bien l'admettre, je suis ce que l'on appelle un déficient mental. J'ai pas la tronche de travers, pas la lèvre intérieure qui pend ni même l’œil hagard, mais j'en suis. Et comme j'en suis, j'ai été inscrit avec Julien et Marie dans un programme humanitaire, Le Voyage Dans Les Nuages, consistant à proposer une journée à la mer pour des pensionnaires pas trop cassos comme moi. D'un côté, je me réjouis de sortir un peu et goûter l'air marin, de l'autre, migrer entre honteux de la société d'une chambre à une côte houleuse, ça me rappelle que j'ai été punk, raver, fêtard, baiseur beau gosse, glandeur magistral, etc. Mes souvenirs commencent à l'âge de 15 ans et s'arrêtent à 23 ans. Pour l'instant, le reste ressemble plus à une bobine cramée de cinoche.


21 avril 2011 (2): le temps des calottes glaciaires remplacé par L'ère des pique-niqués aux glaciaires remplies de rondins de viande mixée, de mie blanche issue des cultures de free-fight contre la Terre. Fleuves ravageurs de sodas, de plastiques et de coques trop cooool de smartphone. Les machines agricoles rabotent, les foreuses forent, les vaillants blablateurs du Web blablatent, abolissent l'héroïsme au profit d'une maltraitance jouissive du vivant. Quelle facilité avec laquelle notre car bombe sur l'autoroute menant à la Manche. Julien me caresse la cuisse en suçant un stylo 4 couleurs.

Léonel Houssam

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