Au bout du chemin, il n'y a plus de chemin...






"Le père Froideval, c'est un bon gars, le pépère honorable mais faut arrêter avec ça. Il a un casier cette crapule, pour cambriolage, quand il avait trente balais, il a pris cinq ans. Et moi je sais des choses sur lui, des choses pas propres. Quand il s'est mis sur la liste de Clanche pour essayer de virer le maire aux élections, c'était ni plus ni moins qu'un gangster de plus contre la politique de transparence et d'honnêteté. Moi je ne fais pas de politique non. Je dirige la police de Val, mais merde les délinquants au pouvoir, non !" Il avala une gorgée de vin. Cela déforma son visage. Le picrate infâme servi dans ce restaurant était aussi corrosif que le vinaigre, mais il ne coûtait pas cher. Le silence régnait encore pendant que Jacques discourait. Michel entra et vint se poser contre le zinc. Le patron lui servit un sauvignon. "Il s'est mis à baver. S'est levé après avoir fini son sandwich puis il est allé prendre une boîte de maquereau au vin blanc dans le buffet, une fourchette dans un tiroir qui l'a obligé à enjamber le cadavre de la vieille. En l'ouvrant, ça a giclé partout, y compris sur la joue et les nibards à l'air de la morte. Moi je le regardais faire. Nous les flics, on doit analyser. C'est pas la peine de se précipiter. Entre l'odeur de poisson au muscat et aux épices et du cadavre qui sentait le lait qui pourrit lentement sous le cagnard, je te laisse imaginer... "
"Celui qui fait le mal, le fait volontairement, sinon ça n'est qu'un fou, rien qu'un fou". Jacques me regarda en coin. Je détournai les yeux vers l'écran. Une bande d'abrutis assis dans des fauteuils de salon autour d'une table basse encombrée de packagings de produits de consommation courante s'enthousiasmait sur le thème annoncé en bas d'écran: "Des crèmes bio pour une peau plus saine". Ces malades discutaient de ça -malgré le son coupé, j'en étais persuadé- comme s'ils débattaient du sort de migrants politiques violés collectivement par des militaires corrompus. Cette peste, ces chroniqueurs du vide me mettaient en colère, et pourtant je ne trouvais pas d'autre parade pour éviter le regard puissant de Jacques toujours excité par sa propre logorrhée: "Je lui ai permis de terminer son maquereau. Mais quand il a voulu se servir une louche de soupe froide qui stagnait dans une casserole posée sur la gazinière, j'ai dit stop !"
" Au bout du chemin, il n'y a plus de chemin..." Pour une raison qui m'échappa, j'avais les doigts dans mon récipient de vinaigrette. Je touillais. Mes doigts piquaient, mes ongles rongés jusqu'au sang, la côte tronquée de mes gencives et les lèvres de Jacques qui ne discontinuaient pas: "Il m'a demandé s'il pouvait faire un ultime geste avant que je l'embarque. Je m'attendais à tout sauf à ça. Avant que je lui donne mon accord, il s'est levé puis il s'est agenouillé sur le carrelage avant de se pencher pour fourrer sa grosse langue blanche entre les lèvres dures, en bois du cadavre de sa femme !"

L. Houssam

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