Je voulais lui mettre une baffe dans la gueule - Chronique du quotidien pathétique

Photo de Yentel Sanstitre


Chronique du quotidien pathétique : les yeux dans le vague, j’essayais de faire semblant d’être attentif. Dedans, je me sentais en Inde, sur les routes de poussières orange foulées par des millions de gens maigres à la peau foncée et aux vêtements bariolés. J’en étais là pendant que la cheffe de secteur me racontait l’histoire sensationnelle de son chat qui, la veille, avait griffé son mari au visage parce qu’il le détestait. Elle enchaîna sur ses courses et les gens qui s’énervent aux caisses. « C’est affreux comme les gens sont agressifs hein ? ». Je voulais lui mettre une baffe dans la gueule, mais au lieu de ça, je réajustai ma cravate. Elle était la patronne de toutes les promotions, la Sainte protectrice des augmentations de salaire. Je faisais l’effort nécessaire pour pouvoir rembourser une dette gigantesque provoquée par un héritage malheureux. Je n’entre pas dans les détails. A quoi bon en dire plus. Et je continuais mon voyage en Inde. Je m’imaginais nu dans la puanteur caniculaire. La clef de voûte de ma vie, c’était ce médiocre salaire. Ça me permettait de manger, d’acheter quelques livres et de m’entraîner au stand de tir. J’étais mauvais, mais j’aimais ça. Le recul, la lourdeur de l’arme, les drapeaux américains et les motifs d’aigles en guise de décoration. La bande de patriotes cinglés qui tenait ce club était sympa. La bravoure consistait à ne pas mettre en application leurs idées. J’ai fini par dire « Ta gueule maman »… J’avais ripé. C’est toujours humiliant de dire un truc pareil à sa cheffe, surtout lorsqu’elle a cinq ans de moins que toi. Elle s’est tu. J’ai reçu ma lettre de licenciement. Tout ça pour ça.

Léonel Houssam

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