Coiffé comme Eddy Mitchell avec une voix de Michel Sardou.



La queue d’un boxer était toujours une saucisse apéritif poilue qu’il n’était pas recommandé de tirer sous peine de se faire ravager la façade en deux coups de crocs. Tout le monde le savait ça dans le quartier. Chétif, maladif –mais jolie mèche taillée maladroitement aux ciseaux par tata tiens- je n’en démontrais pas moins une certaine puissance quand je trainais avec mon cleb’s dans les rues du quartier. Les autres ne bronchaient pas. J’avais l’impression d’être un chef de meute un peu comme croc-blanc, cette histoire lamentable sur un loup qui zonait dans des contrées gelées. J’étais gêné par l’image mais je n’avais rien d’autre qui me venait à l’esprit. Mon chien était obéissant à temps partiel. Il était plutôt ce genre de chien qui oublie les ordres en deux temps trois mouvements. Mais il était gentil, câlin, protecteur et toujours prêt à me défendre. Une fuite à l’école nous obligea un jour à rentrer plus tôt à la maison. Bruno mâchouillait du chewing-gum Hollywood en imitant James Dean alors que je marchais derrière lui, envieux, désireux moi aussi de posséder le cartable Goldorak argenté qu'il portait sur son dos. Il avait aussi la trousse et un crayon HB marqués du héros. Ça faisait de lui un caïd parmi les morveux de chômeurs et de prolos crasseux et alcoolos qui grouillaient dans la ville. Croc-blanc quand mon chien marchait à côté de moi, les babines gluantes tombantes supportant une grosse langue gélatineuse gigotant en tous sens. Ce jour-là, il s’était encore barré du jardin de derrière le pavillon en sautant par-dessus le grillage, manquant chaque jour de se déchirer les couilles. Ça ne le freinait pas. Je le vis débouler, toute gueule ouverte, avec un petit air de rieur de boxer sur le point de faire une connerie… Il s’arrêta net devant moi, les oreilles un peu inclinées pour signifier qu’il flippait de se prendre une rouste. J’étais trop content de le voir et je « Rhhhôôô le toutou qu'il est gentil ouuuhhhh qu’il est gentil c’est le toutou à son papa ». Bruno se tint à bonne distance. Mon boxer avait le corps agile mais ses putains de muscles affleuraient et rappelaient qui était le plus fort… On ne bronchait plus. J’étais le maître. Il n’écoutait que moi. « Eh Papy, viens, j’ai l’chien, on va bouffer des maquereaux qui poussent dans le jardin du vieux qui pue ». Ce vieux qui pue était Michel, un vieux garçon râleur vivant dans une baraque en bois en marge du chemin de l’école. Personne ne s’y aventurait.

Ce vieux qui pue était Michel, un vieux garçon râleur vivant dans une baraque en bois en marge du chemin de l’école. Personne ne s’y aventurait. Ce jour-là pourtant, j’avais la force, l’envie d’en découdre. Une semaine plus tôt, j’avais ouvert le crâne d’un copain de classe avec un coin de parpaing jeté sans ménagement. Je m’étais senti si fort, immense, royal à l’instant du geyser rouge qui s’était mis à jaillir de sa « boule à zed’ ». Très vite j’avais été envahi par la panique, cette panique énorme qui donnait des envies de chier et l’impression d’yeux qui voulaient sortir des orbites. La peur d’être pris, d’être grondé, la peur de se ramasser une charentaise en pleine tête. C’était incontrôlable. Le copain s’était brièvement évanoui. J’étais resté devant lui, planté à l’observer inerte en me disant –je me rappelle encore de ces mots en boucle dans ma tête- « c’est cool, c’est super de voir ça, c’est la première fois que je vois un mort, c’est cool ». A peine trois minutes plus tard, ses yeux s’ouvrirent de nouveau et il se mit à pleurnicher comme « une gonzesse ». Il fallait faire bonne figure devant les autres copains qui approchaient… Bref, j’avais pris du galon et ça m’avait fait pousser des ailes. Nous approchions de la ruine qui servait de maison à Michel. Nous essayions d’être discrets. L’attraction de la maraude et du fruit défendu était si forte. Les maquereaux étaient des fruits qu’il convenait de becqueter lorsqu’ils étaient un peu rouges, mais nous ne nous posions pas la question, nous tapions dans ceux qui étaient encore verts, acides, bons pour produire une diarrhée foudroyante. Le vieux ne donnait pas signe de vie. Nous prenions un peu d’assurance, nous aventurons de plus en plus près de la porte d’entrée –une planche de bois flanquée d’une poignée bricolée avec une tête de marteau- et pire, nous décidâmes de sortir nos zizis pour faire un concours de pipi, envoyer le jet plus loin que loin « jusqu’à la fenêtre toute dégueulasse-là »…

Extrait de « Robert de Niro n’est plus un héros ». Livre à paraître au premier trimestre 2017. 100 pages environ – Editions Fictives Burn-Out. 

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