Une gynécologue qui s'ausculterait toute seule



Le crime côtoie le quotidien, il l'entoure, il est en embuscade. Il est absent... Car le crime, le véritable, c'est le quotidien... Je griffonne ces mots sur la nappe en papier de la brasserie. Les frites sont encore trop chaudes. Je suis un quadragénaire, sans enfant, sans compagne, qui mange chaque jour à la même table, à midi trente-cinq. Je suis donc un citoyen socialement imparfait qui n'a pas assuré sa descendance. Quand la pendule indique midi, je sens déjà la faim me tirailler autant que l'ennui. Ma libido est en état stationnaire. Un quadra sans enfant, célibataire depuis tant d'années, ça ne rassure pas, c'est suspect, c'est peut-être bien un criminel, au moins un détraqué, un pervers, un type qui n'a jamais rencontré un premier amour. Effectivement, je n'ai jamais eu de relation qui m'indiquait qu'un projet de vie en commun était possible. En fait, j'avais du mal à distinguer amour et sexe, les deux étant inséparables. Je n'y reviens pas. J'écris. J'ai une vague vie d'écrivain avec une vague notoriété mais pas de quoi fouetter un chat. Et puis je déteste les romans ou les récits dans lesquels le narrateur est écrivain... Ça me fait souvent penser à une gynécologue qui s'ausculterait toute seule, pattes écartées sur son plan de travail, se tordant en deux, tirant à mort sur les lèvres de sa vulve pour s'entendre dire: "Et bien tu vois que tu as un bel utérus", et de lever l'index et le majeur joints avant de dire: "Allez, tu connais le lapin et ses grandes oreilles. Allez hop, le lapin plonge sa tête dans ton terrier". Triste. Je termine ma mousse au chocolat, je regarde les likes sur mon dernier statut Facebook et je vais pisser. Il faut emprunter un escalier très étroit pour rejoindre les latrines. Là dans la pissotière fixée de telle sorte à ce qu'un enfant puisse se soulager, je regarde les poils de pubis collés sur les bords de l'émail incurvé. Depuis quelques années je n'ai plus de haut-le-cœur en voyant ces reliques intimes. Je pisse dessus pour les pousser au fond puis j'appuie sur le bouton poussoir qui déclenche un filet d'eau faiblard. Au lavabo, je badigeonne mes mains de mousse blanche odeur lavande chimique avant de frotter énergiquement sous un jet d'eau glaciale. Le séchoir Dyson est toujours en panne si bien que je secoue mes mains pour expulser l'eau. Ma pause est terminée dans quelques minutes. Je vais prendre le temps de fumer une cigarette avant de retourner au boulot... Fin du crime de midi dans le gouffre de l'ennui.

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