Donald Trump : le premier PDG de l’Empire américain


Donald Trump a dépensé son « propre argent » pour sa campagne. Il a mené ça comme un simple marché d'affaire qu'il a remporté, où le bluff, le mensonge et les voltefaces ont eu raison de tous les pronostics. Celui qui s’est présenté comme le défenseur des pauvres, des déclassés, des « vrais » américains, dévoilent maintenant son jeu, tout du moins de la énième partie de poker à laquelle il s’adonne depuis toujours. Désormais, c'est l'heure pour lui du retour sur investissement en nommant le numéro deux de Goldman Sachs, Gary Cohn comme chef de son conseil économique et le principal boss de l'industrie pétrolière, Rex Tillerson, PDG d'ExxonMobil, au poste de secrétaire d’Etat et tout un tas d'autres milliardaires de l'ultralibéralisme triomphant. Donald Trump le revendique haut et fort : il n’est pas « juste » le nouveau président des Etats-Unis, il est avant tout le PDG des USA. 
« Nous sommes un empire à présent, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité »
Le candidat antisystème a donc gagné contre l'establishment ? Assurément non, mais il a gagné contre toutes les réalités parallèles ou confondues de notre monde depuis des années. Les accusations de manipulation du scrutin par Moscou relève surtout d’une guerre de l’ombre menée par les différents camps en lutte au sommet de l’empire ultralibéral. J’utilise le terme d’empire à dessein.
En 2004, un proche anonyme de Bush (très probablement Karl Rove) déclarait à Ron Suskind, du New York Times : « Nous sommes un empire à présent, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous essayez d'étudier la réalité –peut-être même avec succès–, nous agissons encore, créant d'autres nouvelles réalités, que vous pourrez également étudier, et c'est ainsi que les choses avanceront. Nous sommes les acteurs de l'histoire... et vous, vous tous, il ne vous reste plus qu'à étudier ce que nous faisons. »
C’est avec une telle stratégie que Georges Bush Junior construisit une histoire, une fable à laquelle une immense majorité des américains adhéra durant les années 2000 : le dictateur Saddam Hussein devenait soudainement l’allié et même le leader d’Al Qaïda. Nous connaissons presque quinze ans plus tard la mécanique de ce storytelling d’ampleur mondiale. Mais aux Etats-Unis, cette folle histoire est durablement enracinée dans l’esprit de nombreux citoyens au point de créer des collisions majeures à la limite de la guerre civile virtuelle et même réelle. Car pendant ces années, Internet a pris une place prépondérante dans nos quotidiens et les organes de presse traditionnelles ont accusé le coup, voyant leur suprématie décliner au profit d’innombrables médias nouveaux, parallèles ou quelques fois générateurs d’Hoax. Les recettes publicitaires filant à la vitesse d’un torrent puissant vers le réseau mondial, ces médias d’un autre temps ont généralement disparu ou ont été rachetés par des magnas de l’industrie et de la finance, jetant ainsi le trouble sur leur crédibilité. A l’inverse, des organes d’information douteux ont creusé le fossé : parfois complotistes, quelques fois fantaisistes, souvent bordéliques, quelques fois sérieux, ils mélangent allégrement vraies, fausses informations sans aucune forme de hiérarchisation ni de recoupement. L’ère du copier-coller et des réseaux sociaux où le lecteur lambda se comporte simplement en synapse entre deux neurones. 
Les médias privés « oldschool » s’usent, leurs éditorialistes mélangeant probité journaliste et compromission, se contentant parfois de relayer les dépêches des autorités sans jamais y apporter une certaine prudence critique (Par exemple l’emploi du terme « Casseur » à chaque usage de la violence (matérielle et/ou symbolique) de manifestants contre les forces de l’ordre et contre des enseignes ou institutions considérées hostiles ou ennemies, discréditant ainsi le message politique de ces manifestants, les classant non dans le camp des militants d’une cause mais dans celui de « délinquants », de « menace » et parfois « de personnes venues de l’étranger pour discréditer le mouvement »), tandis que les médias « newschool » souvent « Pure Players » (100% web) se taillent une place confortable dans « l’auditoire » grandissant d’Internet. Certains d’entre eux ont permis de donner de la puissance à l’information et de casser certaines barrières. Pourtant, comme je le rappelle depuis des années, une dictature moderne n’utilise plus des moyens violents, coercitifs ou d’intimidation pour s’imposer, elle laisse l’illusion aux citoyens qu’ils ont une réelle liberté d’opinion dans un brouhaha sans fin où chaque propos est écrasé par des centaines d’autres propos, « statuts », « commentaires », etc. La « baseline » de nombre de mes textes entre 2000 et 2012 était : « Oui, je le dis, tout est ici est vrai… mais tout est faux ». L’irréalité devient la réalité et vice-versa.

Donald Trump, un milliardaire psychopathe et pathologiquement assoiffé de pouvoir ? Pas sûr.
Avec Donald Trump, nous entrons dans une nouvelle phase. Celle largement véhiculée des producteurs de télé-réalité : l’irréel s’imposant comme seule réalité. Des mois durant, le candidat Trump a balancé des mensonges, des vérités, des informations, des hoax avec l’aide de fermes à clics grassement financées, des médias douteux et quelques fois sérieux, des blogueurs trop heureux de devenir des stars du net et des journaux, radios, télévisions sans cesse colporteurs de rumeurs, de faits people et d’informations invérifiables. Cela peut émaner –comme le répètent souvent les éditorialistes « classiques » et autres experts à la petite semaine d’un milliardaire psychopathe et pathologiquement assoiffé de pouvoir, de fric, de sexe et de grandeur égocentrée – mais c’est un peu et même très réducteur.
Derrière cela, il y a une stratégie, une pensée, un vœu. Le projet n’est plus de gagner une guerre ou de montrer sa supériorité, le dessein est de pilonner le monde d’incertitudes, de contradictions au point que chacun se sent dans l’obligation de se positionner pour, contre, en-dehors ou en-dedans. Trump balance tellement de décisions clivantes aux conséquences souvent imprévisibles (de façade), que le doute s’immisce en chacun. Il n’est pas suffisant de le classer dans le camp du mal ou du bien, il n’est pas conséquent de se rassurer en affirmant que le Congrès pourrait servir de contre-balancier à sa politique internationale remettant en cause tous les équilibres (ou déséquilibres), pas plus qu’il n’est intelligent d’affirmer qu’un rapprochement avec tel ou tel (Poutine ou autres) réglerait concrètement les problèmes au Moyen-Orient, les déséquilibres en Europe ou les rapports avec la Chine. Personne n’est en capacité, réellement, pro-Trump ou anti-Trump, de savoir où tout cela mène.

« C'est une stratégie du pouvoir qui entretient toute opposition dans la confusion permanente »
Vladimir Poutine a la mainmise sur la Russie parce qu’il a su bien s’entourer, et particulièrement, il a su se faire épauler par un génie de la manipulation de masse et de la stratégie de contrôle du pouvoir : Vladislav Surkov. Celui-ci a transformé la politique russe en une pièce de théâtre aux rebondissements incessants, secouée par le changement perpétuel. Il définit ainsi ce nouveau moyen de verrouillage des masses : « C'est une stratégie du pouvoir qui entretient toute opposition dans la confusion permanente ». Ce qu'il a appelé la guerre non-linéaire. Une guerre où on ne sait jamais ce que manigance réellement l'ennemi, voire même qui il est. Et mieux encore, Surkov estime qu’il n’y a qu’une seule liberté à céder aux citoyens : la liberté artistique. Pour résumer, laissez chaque individu créer, s’exprimer par et avec l’art, cela entretient son ego et le laisse gesticuler dans une sorte de basse-cour d’égo-connectés qui ne menaceront jamais le réel pouvoir à l’œuvre dans les hautes sphères.
J’en reviens donc au début de cet article : cela va –puisque le nouveau président américain est un homme d’affaire puissant et aussi tête brûlée qu’un joueur de poker- dans le sens du retour sur investissement attendu après des mois de campagne. Un PDG dirige comme un PDG. Une entreprise privée en Occident, est essentiellement une structure non-démocratique dont le projet principal est la conquête de marchés dans l’objectif d’accroître les bénéfices et la fortune de celui qui la dirige. L’Amérique est la plus grosse multinationale du monde à compter du mois de janvier 2017. Son patron, celui qui mènera son conseil d’administration et tout son personnel (citoyens), sera Donald Trump. Ses concurrents sont l’Europe, la Chine, l’Inde, le Mexique, le Brésil et tous les états qui veulent jouer un rôle dans l’immense marché économique qu’est la planète Terre. C’est pourquoi Trump ne peut être comparé aux politiciens, qu’il sort de tous les codes habituels, qu’il explose les règles du protocole, de l’étiquette et de la bienséance diplomatique de façade : c’est le boss d’une entreprise nouvelle et cette entreprise est un pays entier… Et pas des moindres, c’est la première puissance économique et militaire du monde.


Léonel Houssam

Cet article a été publié sur Agoravox: 

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