La littérature sans le risque…

Jessica, CC BY SA 2.0



Un écrivain de banlieue (il peut aussi d’être d’un milieu rural, d’une petite ville de province, etc.), un « populo » tel que moi, c’est un peu la racaille des milieux littéraires parisiens. À l’entrée des « grandes » maisons, des vigiles invisibles qu’on appelle « les sourdes oreilles » te balancent : « Toi t’es interdit de séjour ici ».
"Les trolls sont désormais hors service"

Cela est dû au ton, au style, à la force brute des « choses » que j’écris, mais aussi parce que je déteste et ne veux pas traîner dans les « milieux » autorisés et encore moins pratiquer ce « truc » tellement à la mode aujourd’hui et très élitiste : « Le réseautage ». 





Je ne ferai aucune concession sur ce point, je n’enjoliverai pas, je n’utiliserai pas les grosses ficelles de narration ou d’écriture scénaristique (que je connais très bien, et que j’ai eu à pratiquer dans d’autres circonstances). Je ne me plierai pas à ce jeu-là, je n’obéirai pas, je travaillerai toujours de concert, en partenariat égal avec des éditeurs, je dirai non quand on me forcera à dire oui, je continuerai à manger du pain sec que j’aurai acheté avec mes propres deniers plutôt que manger du pain sec acheté avec les maigres droits versés à la suite d’un échec commercial programmé d’un prochain roman.  

J’impose, comme tout « musicos » de quartier, tout peintre, danseur, un mode de pensée libre, insoumis, libre (autant que possible, car la liberté est un objectif inatteignable, le processus d’écriture étant un sacerdoce, un filet géant de contraintes lourdes). Bien sûr, il est important d’écouter, de recevoir l’expertise de professionnels, il est important de ne pas se borner, de ne pas se mettre en guerre. Il faut recevoir, échanger dans les limites strictes de la collaboration entre un éditeur et un auteur mêlant affect, réflexion globale sur l’écrit, débat sur tel ou tel chapitre, liens contractuels et stratégie commerciale (car on ne peut s’en dispenser si l’on veut vendre un peu plus qu’à ses trois potes, sa maman et tonton Roger). 

Je ne sais pas si c’est l’époque (n’ayant vécu que celle-ci jusqu’à ce que l’on invente l’immortalité) qui fait ça, si ça a toujours été ainsi, je ne sais pas si c’est la médiocrité de mon travail ou la surabondance « d’écrivains » connectés, je ne sais pas si seule l’élite lettrée des décennies et siècles précédents accédait à la publication, je ne sais pas… 

Mais je constate que le « risque » en littérature est devenu une option impossible pour les moyennes et grandes maisons d’édition. Je ne prétends pas qu’elles publient uniquement des œuvres médiocres, loin de moi cette idée. Étant un lecteur régulier, permanent, je ne peux que le dire : il y a de bons livres qui paraissent… souvent étrangers (Anglo-saxons, mais pas que). Les auteurs français « autorisés » déploient un style d’étudiants en lettres modernes ou classiques, comme un précarré perpétuel. Et lorsqu’on publie du « populo », du « banlieusard » ou du « bouseux », c’est par exotisme, pour « promouvoir la diversité ».

J’ai lu, entre autres, Jean Gab' 1 ou Rachid Djaïdani qui sont d’excellents écrivains, mais que l’on cantonne médiatiquement au rôle de « racaille reconvertie de banlieue » (j’ai d’ailleurs la certitude que leurs agents ne jouent que sur ce créneau pour « vendre » leurs poulains). Ce terme est provocateur et jamais les choses ne sont formulées ainsi bien sûr. 

Il y a des écrivains des périphéries comme il y a des Français des périphéries


Il y a des écrivains adoubés par l’establishment (même s’ils sont des fiascos commerciaux permanents, grand bien leur fasse) et il y a des écrivains enfermés contre leur gré dans la case underground ou « mec de cité » ou « petits voyous de province » et j’en passe. Il n’est pas de mon ressort de juger de la qualité de mes écrits, en revanche, je peux dire que j’ai été édité à compte d’éditeur à plusieurs reprises et que je peux faire pâlir – en terme de ventes — 90 % des hommes politiques qui sortent des bouquins et tout autant de romanciers publiés par des grandes et moyennes maisons. Le problème n’est donc pas mon incapacité à capter un lectorat.

Je peux aussi dire que je ne suis pas plus mauvais qu’un paquet de scribouillards de romans noirs qui usent et abusent de techniques de narration dignes d’un petit scénariste-troufion d’Hollywood. Ça plaît à une catégorie de lecteurs soucieux de rester sur des rails littéraires, mais ça ne répond jamais à ce lectorat curieux qui semble se replier sur les auteurs « d’ailleurs » ou les auteurs « d’avant ». Il ne faut pas tout faire peser sur les éditeurs qui, pour certains (surtout les plus petits qui tirent la langue et ne portent leur catalogue qu’à la force de la passion), mais aussi sur les prescripteurs de littérature française qui se font peu à peu broyer par des blogueurs en tous genres. 

Verrouiller n’est pas réussir


Le choix de l’autoédition n’est pas forcément celui des losers. Il est aussi celui des indépendants. J’ai passé beaucoup de temps à échanger avec des éditeurs – et des très bons parfois — sans trouver de compromis, sans même pouvoir convaincre que le risque est la vie, et que le repli sur une zone de confort, c’est un suicide. L’autoédition peut être une réussite.

En qualité d’ancien chroniqueur musical, je pourrais citer des centaines de musiciens qui se sont autoproduits, qui ont chopé le public et qui ont été ensuite piteusement dragués par des majors. L’un des derniers exemples flagrants : le groupe Stupéflip qui est allé fricoter avec les majors dans un premier temps avant de se faire virer. Leur nouvel album à paraître en 2017 a été financé par le biais de crowdfunding avec un seuil minimum fixé à 40 000 €. Au final, ils ont récolté plus de 400 000 € !

Si je prends cet exemple, c’est pour illustrer mon propos. Un premier roman dans une grande maison d’édition se vend, en moyenne, à 700 exemplaires (eh oui, c’est ça la réalité), c’est ce que je suis capable de faire (j’atteins entre 300 et 600 exemplaires sans compter les exemplaires eBook gratuits) en indépendant. On se marche sur la tête. 

Désormais, je possède les compétences et les outils pour déployer ma propre offre littéraire ainsi qu’une distribution très large de mes ouvrages. Je fais appel à des relecteurs efficaces et des potes éditeurs (indépendants) pour améliorer la mise en page, la fabrication du livre, mais aussi les rouages du récit.

Cela impose de sortir de sa tour de diva et de mettre les mains dans le cambouis, mais en qualité d’ex-punk, d’ex-créateur du monde du fanzinat, de partisan du « do it yourself » et d’autonome, cela ne me pose aucun problème, et mieux, je trouve ça jubilatoire. Car n’oubliez jamais chers écrivains de tous pays, un lecteur, ça ne vient pas tout seul, ça va se chercher avec les dents ! 

Commentaires

Articles les plus consultés