C'est poétique un mec crevé

La balançoire grince. Son mouvement de balancier est léger, régulier, provoqué par le vent chaud venu du Sud. Morgan paraît serein bien que sa tête soit penchée vers le sol. La rigidité cadavérique tient les mains parfaitement accrochée aux deux cordes bleue. Ce miracle fascine Bertrand, assis sur une chaise en osier à la fenêtre de la cuisine, les bras croisés supportant son menton.

"Faudrait penser à l'enlever de là. T'as fait des photos ?

- Ouais. 

- On va les foutre sur internet. Ça va faire le buzz. C'est poétique un mec crevé qui fait de la balançoire. On le décrochera plus tard. Je me dis qu'on pourrait le laisser comme ça. S'il n'y avait pas les vers et les mouches pour lui grignoter la putréfaction, je le laisserais sécher là. Je l'aimais bien Morgan. C'était un dingue, un bienheureux. La preuve ! Il s'est pris une pêche en plein cœur alors qu'il faisait le con sur là-dessus pendant que ça bastonnait!"

Les échanges de tirs ont cessé depuis près d'une heure. La rue, bien qu'un peu plus grignotée par les combats, a retrouvée sa quiétude habituelle.

"On devrait inventer un gel qu'on répandrait sur les corps là où ils sont morts. Un produit capable de vitrifier instantanément le défunt. On ferait ça pour tout le monde et on serait obligé de détourner les routes, de construire de nouvelles chambres d'hôpital, de nouvelles églises, immeubles... Il y aurait des gens morts sur d'autres gens morts, et des gens morts sur toute la surface de la planète. En quelques décennies, la croûte terrestre serait couverte d'une couche d'humanité morte. Il serait interdit de modifier leur place, de les toucher après vitrification. Quand on y pense, conserver les trépassés en l'état changerait le monde. Peut-être qu'enfin ces crétins de consommateurs auraient la nausée. On pourrait écrire la cause de la mort sur un panneau planté sur le ventre ou le thorax ou une cuisse si le type n'a plus de tronc"

Il inspire fortement. Relève la tête.

"Je suis un avant-gardiste. Tout ça se fera un jour. Je suis un doux rêveur peut-être..."