La croupe est pleine



« La croupe est pleine » suivi du rire gras de Bertrand réajustant son jean blanc, torse nu musclé, triomphant, une beauté massive très seventies, pieds nus impeccables… A croire que les combats agissent sur lui comme une fontaine de jouvence. L’indien pompe son calumet, le regard noir tendu posé sur Bertrand :
« Qu’est-ce t’as à me regarder comme un serial killer le peau rouge ? J’ai fait ce que j’avais à faire. On a beau dire, les filles des magazines, les beautés du dancing, les bimbos du camping et les péteuses surfaites des réseaux, ça vaut pas une sangsue grassouillette et au corps pas vraiment symétrique. Elle était réticente, et alors ? ça fait des millénaires que c’est comme ça. Avant de se décontracter, si tu vois c’que je veux dire »
Clin d’œil rigolard lourd de sens.
L’indien avale une bouffé de fumée sans piper mots, l’air menaçant, réprobateur mais calme.
« Elle est veuve. Elle est coincée là. Ils peuvent toujours dire que les « civils » sont des otages, c’est des conneries. Nous aussi, on peut blablater des conneries. Et après tout, et si c’était pas leur Etat, leur fausse démocratie, leur économie de horde qui prenaient en otage tous les civils vivant sur leur territoire ? On l’a été nous aussi hein ! L’indien, on en a chié, t’es même allé dans leurs geôles. Et pourquoi ? Parce que t’as buté un de leurs flics ! Ouais, un flic. Un père de famille, honnête, papa d’un ou deux gosses en bas-âge pour faire pleurer dans les chaumières. Mais le gentil papa, il portait un putain d’uniforme, il bossait pour eux, n’est-ce pas l’indien ? Il s’est mis en travers de ton chemin pour protéger les biens de ses maîtres. Vlan, balle dans la tête. Il a voulu faire la guerre, il a perdu. 
- Cette femme, c’est pas un flic à leur solde.
- Qu’est-ce que t’en sais ? Elle était dans la Rue de Notre République à notre arrivée ! Mais qui dit qu’elle bossait pas pour eux ? Ils sont tous tellement contents d’avoir des parcs d’attractions, des crédits à la consommation, des victuailles à s’en faire péter les artères, des bagnoles-bélier pour défoncer l’ordre de la nature et de la planète ! Elle aimait bien ça. Elle vivait ici, on s’est pointés et elle est chez nous, sous notre régime. A cinq cents mètres au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, on a des lignes de troufions et de gradés ennemis prêts à nous dérouiller. Ils peuvent dire que c’est une otage, si ils veulent. Ça nous arrange, ça évite les bombes de 250kg sur la gueule balancées par leur Rafale… Quand ils comprendront que Jacqueline… « l’oooo-taaaa-geee » en redemandait encore quand je la baisais, ils enverront les chars et l’aviation et ils raseront le village tout entier… Otage ou pas otage. C’est comme ça. Profite ! Elle est encore sur le pieu, elle transpire comme un bœuf mais tu peux prendre ta part ».

L’indien crache par terre. Son regard toujours aussi noir. Il se lève de sa chaise, pipe au bec et se dirige vers l’entrée de la maison sans plus fixer Bertrand. Ce dernier s’esclaffe : « Eh tu vois hypocrite ! T’y va aussi ! Mets lui la misère à la squaw ! »
Un tir isolé fracasse la plénitude de cet après-midi chaud. Aucun des combattants ne réagit vraiment. Après plusieurs semaines de siège, les habitudes s’installent. Chacun distingue désormais une détonation hostile d’un tir crétin.
Extrait de « Notre République », fiction en cours d’écriture.

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