Son arme automatique est un sexe qu’il lustre avant le combat



« Je n’étais pas prêt et comme un con, j’avais pris une douche le matin avant de partir au boulot alors que la consigne était de ne pas se laver au minimum trois jours d’affilé. Sur le parking d’une zone industrielle, pendant le brief de six heures et l’inspection générale, l’un des majors a relevé que je sentais le shampoing. Je me suis excusé. Il a gueulé avant de dire que c’était ma dernière journée avec eux. J’avais tellement besoin de thunes que je ne suis pas parti sur le champ. Dans sa poche, ce gros lard avait un spray de senteurs pestilentielles, un mélange sueur/merde séchée/pisse dans les fibres de 24 heures d’âge. « Vaporise-toi ça sur tout le corps ». Ce que j’ai fait. Sauf que ce produit qui sortait de je ne sais quelle usine de maboules, dégageait plutôt une odeur immonde et très chimique, un peu comme ces chip’s dégueulasses qu’ils faisaient « au bacon », « façon ch’ti » ou « chèvre chaud ». Tu avais quelque chose qui ressemblait au goût choisi mais pas vraiment. Il y avait toujours cette arrière-saveur chimique, toujours la même qui criait avec des grandes dents : « On va te distribuer du cancer pauvre abruti ! » Bref, à 07h00, j’étais à mon poste. Le centre commercial n’ouvrait qu’à 09h00 mais il fallait déjà agir pour orienter la clientèle. Nous étions dix-sept faux SDF, canette de 8/6 à la main à fumer des vieux mégots et à parler comme des ivrognes dans la rue qui nous était destiné.
- Mais pourquoi ne pas prendre des vrais clochedus ? 
- Problèmes de discipline. Les mecs étaient trop déglingués du ciboulot et surtout, ces grandes gueules auraient raconté aux passants qu’ils bossaient pour des enfoirés. 
- C’était qui l’employeur ?
- Une boîte intérim. 
- Oui mais pour qui ? 
- Un autre centre commercial concurrent. T’as compris l’idée. Tu balances une bande de faux pestiférés et la décote commerciale est immédiate. 
- J’y crois pas. 
- Je te jure. 
- Mais vous étiez des putains de fauchés. Y’avait un risque de mecs qui balancent le secret.
- Tu es fou. Personne ne pouvait l’ouvrir. Le dirigeant de ce centre commercial était un ancien étudiant d’école de commerce de la pire espèce. Il s’était allié à deux chefs de quartiers qui veillaient sur nous. 
- Putain la mafia…
- Nan, le capitalisme. L’ordre du monde… Mais tu vois, ce dernier jour passé avec ces odeurs immondes sur moi m’a un peu plus renforcé dans mon idée que j’en n’avais plus rien à foutre de ce monde et encore moins de le changer »

Les légumes fanent dans le potager. Il n’y a pas eu assez de pluie cet été. Sur un tas de terreau flanqué de mauvaises herbes, une pie vorace picore les lambeaux d’une chemise encore imbibée de sang séché. Sur le sèche-linge, des sacs plastiques troués par les balles pendent et s’agitent au gré de ce vent perpétuel. Bertrand aime baratiner. Les guêpes glandent sur les fleurs rouges qui bordent l’allée principale. Un lézard sur la façade sud de la maison dessine une virgule à pattes. Le crépi craquelle. Les gouttières décrochées pendouillent, serpents de cuivre scintillants. Le merveilleux d’une rue du chaos, une rivière claire dans un espace-temps charbonneux. Des chiens mouillés rangés aboyant sur ses rives.
Bertrand est satisfait de lui. Ce jeune combattant, Julien, est subjugué par son mentor. Son arme automatique est un sexe qu’il lustre avant le combat. Qu’il patine. Qu’il effleure. Qu’il prépare. Qu’il braque. Bertrand traine en slip, regarde par la fenêtre sans vitre aux cadres de bois explosés. Les carcasses de voitures dégagent encore des odeurs de carburant et de plastiques brûlés. La société post-industrielle s’est endormie ici.
« Plus on bossait, des emplois plus merdiques que ceux de la fin du XXème siècle et plus on croupissait. Plus on se donnait et moins on savait où on allait. On n’était pas dans la souffrance comme tous ces africains qui crevaient la dalle, mais on n’avait pas assez pour imaginer prendre une navette spatiale direction Mars. Et puis quoi ? Au sud, on n’avait qu’à gratter le sol pour bouffer des cailloux. En Occident, on avait la promesse d’un voyage interstellaire de six mois, bombardés par des particules, pour finir par atterrir au mieux brûlés à vif au pire le fion gros comme une queue de limace remplie de tumeurs dégueulasses. Quel rêve ultime !»
Extrait de « Notre République ». En cours d’écriture.

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